«Charles mort ou vif», le plus bel enfant du printemps

Porté par Tanner, Goretta, Soutter, et Reusser, il était une fois l’âge d’or du cinéma romand.

Bernard Chappuis

Arrêt sur image, Cannes 18 mai 1968. Sur la scène d’une salle de projection, poing droit serré à la manière d’un révolutionnaire, François Truffaut harangue les festivaliers. À ses côtés, Jean-Luc Godard, Claude Lelouch, Louis Malle et Roman Polanski posent en artistes penseurs. Alors qu’à Paris, on cherche la plage sous les pavés, sur la Croisette les jeunes cinéastes font des vagues. «Je vous parle solidarité avec les étudiants et les ouvriers, vous me parlez travelling et gros plan! Vous êtes des cons!» assène Godard. Rideau. Un jour plus tard, le président Robert Favre Le Bret déclare que le vingt et unième Festival international du film est clos à midi. Il y en aura un vingt-deuxième…

En 1969, un cinéaste genevois de 40 ans, Alain Tanner, présente à Cannes puis à Locarno son premier long-métrage de fiction: «Charles mort ou vif». Las de sa vie minutée, le directeur d’une entreprise d’horlogerie plaque boulot et famille. Nourri du réel, cet éloge de la fuite et de la liberté est reçu comme une fable provocante par les cinéphiles parisiens. «C’est de Suisse que nous parvient, alors qu’on ne cesse de l’attendre en France, le plus bel enfant cinématographique du mois de mai 1968», s’enthousiasme le critique Philippe Haudiquet dans «L’Avant-scène du cinéma». Une notoriété qui n’est pas sans équivoque. Plébiscité à Paris, le cinéma romand se voit attribuer un label d’excellence qui lui permettra de s’affirmer durant plusieurs années tout en le confinant dans un cadre non dénué de clichés. Aucun distributeur helvétique n’acheta «Charles mort ou vif». C’est à compte d’auteur que Tanner fit du porte-à-porte pour le projeter dans nos contrées. «Pour moi, Mai 68 a été un déclic pour casser le cinéma Cinecittà, Billancourt et l’usine à rêves», expliquera-t-il plus tard lors d’une table ronde à la Cinémathèque française. Le Genevois avait du reste ramené un reportage, «Le pouvoir dans la rue», pour l’émission télévisée «Continents sans visa». Dans la foulée, écrit en quinze jours, tourné en trois semaines, «Charles, mort ou vif» ébrèche vigoureusement les codes de la narration traditionnelle. Marqué par le free cinema et Lindsay Anderson, influencé par Ozu et Bertold Brecht, Tanner s’impose en grand cinéaste.

Le Groupe 5 et la bande des quatre

Mai 68 est-il un marqueur temporel aussi déterminant qu’il en paraît pour le cinéma romand? Un peu d’histoire s’impose. L’événement majeur des années soixante est l’arrivée à la TSR d’une génération d’hommes qui croient à l’affirmation d’un nouveau cinéma. En 1968, Jean-Louis Roy (Rose d’Or de Montreux en 1964 pour l’émission de variétés «Happy-End»), Alain Tanner, Michel Soutter, Claude Goretta et Jean-Jacques Lagrange fondent le Groupe 5, qui se présente comme une coopérative de production. Deux ans auparavant, quatre réalisateurs débutants, Yves Yersin, Francis Reusser, Claude Champion et Jacques Sandoz, ont créé, avec le critique Fredy Landry, l’unité de production Milos-Film. Les cinéastes de ces deux entités comprennent que, tributaires de faibles moyens artisanaux, leurs scénarios doivent reposer sur des concepts novateurs. Ils vont dès lors ausculter ce coin de pays, gratter le vernis d’un paradis sans contradiction apparente, exposer le malaise intériorisé d’individus confrontés au dynamisme de la société industrielle. Leurs premiers efforts sont mis en boîte à défaut d’arriver toujours sur les écrans: ni «La lune entre les dents» (1966), de Soutter, hué à Locarno par des festivaliers imbéciles, ni «Vive la mort» (1969), de Reusser, n’atteindront le public. Comme souvent, les Romands attendirent pour honorer leurs créateurs que Paris l’ait fait avant eux…


Après «Charles mort ou vif», Alain Tanner enchaîne avec «La salamandre», un grand succès populaire. Photo: KEYSTONE

Cela arriva en 1971 avec le triomphe critique et populaire de «La salamandre». «Quand j’ai terminé ce film, je me suis dit: «C’est tellement mauvais que je ne le sortirai jamais», raconte Alain Tanner. Et puis, cela a eu un énorme impact… Inattendu. Je ne savais même pas qu’il y avait de l’argent à gagner. Mais c’est surtout le succès qui m’a fait un peu reculer. Parce que cela devient douteux. Quand j’ai vu le film en salle, j’ai trouvé que le public riait beaucoup trop.» Refusant des propositions mirobolantes en France, le Genevois tourne alors «Le retour d’Afrique» (1973), toujours sur le thème de la fuite. L’âpreté de son cinéma rabote l’âme.

L’appel de Cannes

La blessure n’a jamais vraiment cicatrisé. Celle engendrée par un tapage insensé lors de la présentation de «La lune entre les dents» au Festival de Locarno en 1966. Le film était juste novateur, le réalisateur s’est vu traité comme un pestiféré. «La sanction fut si brutale et cruelle que j’y ai laissé quelque chose», nous révéla Michel Soutter (1932-1991). N’empêche. Avec «James ou pas» (1970), le Genevois va convaincre la critique française du caractère intimiste et intellectuel de son œuvre. Et Mai 68 n’y est strictement pour rien. «Je crois avoir fait le même cinéma de poésie avant et après. Pour Tanner et Reusser qui avaient des préoccupations plus sociopolitiques voire politiques, Mai 68 a sans doute été indispensable. Et en même temps, cela leur a posé plus de questions ensuite, une fois qu’on les a traités de post-soixante-huitards!»

Charles mort ou vif (1969), de Alain Tanner



La Salamandre (1971) de Alain Tanner



«La dentellière» (1977), de Claude Goretta


«Sauve qui peut (la vie) (1980), de Jean-Luc Godard


«Les années lumière» (1981), de Alain Tanner


«La mort de Mario Ricci» (1983), de Claude Goretta





L’extraordinaire foisonnement du cinéma romand de l’après-Mai 68 se traduit autant par l’adhésion du public que par une présence récurrente dans les festivals, à Cannes notamment. Et ce, jusque dans la compétition officielle. En 1972, Michel Soutter monte les marches pour «Les arpenteurs». L’année suivante, Claude Goretta reçoit le Prix du Jury pour «L’invitation» puis, en 1977, «La dentellière» est récompensée du Prix du jury œcuménique. Événement en 1980, Jean-Luc Godard s’affiche pour la première fois en compétition avec «Sauve qui peut (la vie)». En 1981, c’est Alain Tanner qui obtient le prestigieux Grand Prix pour «Les années lumière». Claude Goretta remonte une troisième fois les marches en 1983 pour «La mort de Mario Ricci» (Prix d’interprétation pour Gian Maria Volonté). «Derborence», de Francis Reusser, termine ce chapitre lumineux en 1985. Depuis, hormis l’exception Jean-Luc Godard, aucun cinéaste romand n’a concouru pour la Palme cannoise.

John Lennon, sous surveillance aux Etats-unis. Photo: KEYSTONE

John Lennon, sous surveillance aux Etats-unis. Photo: KEYSTONE

Soudain, la pop cause du peuple

Si Mai 68 n'est pas né d'une seule «protest song», il a eu pour effet de libérer les audaces et de placer les révoltes au cœur de l'industrie musicale. Survol d'un demi-siècle sous influence.

François Barras

Il ne faudra que trois mois aux Rolling Stones pour composer et publier, le 31 août 1968, le single «Street Fighting Man», inspiré par des manifestations londoniennes et par les barricades parisiennes. Une semaine plus tôt, The Beatles leur avaient grillé la politesse en publiant «Revolution». «Tous, nous voulons changer le monde, mais si tu parles de destruction, ne compte pas sur moi», promet John Lennon. Les seules chansons explicitement politiques des deux plus grands groupes de l’époque sont ainsi venues après les révoltes étudiantes et les grèves ouvrières, s’inspirant du radicalisme insurrectionnel ambiant. Des chroniques de l’actualité plutôt que des manifestes. Des constats plutôt que des appels aux armes.

De fait, parmi la myriade de facteurs expliquant l’irruption de la crise, puis son développement des dortoirs de Nanterre au sommet de l’État, la musique a joué un rôle mineur. Nul hymne unique, pas de chanteur à slogan pour pousser dans la rue la jeunesse, dont le caractère protestataire était alors un tout culturel aussi bien littéraire que cinématographique, théâtral et bien sûr musical. Pour un public français en mal d’horizons, Bob Dylan et Joan Baez furent plus des exemples d’émancipation «cool» que des prophètes — il avait déjà goûté à l’insoumission de Vian, de Brassens, de Ferrat ou de Ferré. Et le renouveau folk américain marqua bien moins l’Hexagone que la vague typiquement française du yé-yé, artistiquement hétérogène et strictement apolitique. Au contraire, son émergence en tant que phénomène commercial global représente la première récupération capitaliste du «teenager» en tant que marché. «Le jeune», ce printemps-là, écoute Johnny, Antoine, Polnareff, Manset et Dutronc (l’un et l’autre en boucle à la radio dans le cadre du service minimum). Mais c’est Sheila qui fera le tube de l’année avec son très gaulliste «Petite fille de Français moyen»!

Il n’existe donc pas de «bande-son 68» définitive. Chanson à texte, rock’n’roll, musique hippie, pop sucrée, jazz, folk militante… Les goûts musicaux étaient aussi divers que les motivations de chacun. Comment lier sur une même grille d’accords l’étudiant de la Sorbonne et l’ouvrier cégétiste de Billancourt? Il est en revanche frappant de constater combien le bouillonnement de la fin des sixties a libéré les audaces. La «culture de mai» a permis de croire, à tort ou à raison, que la protestation était soluble dans la pop. À défaut de révoltes sociales, les révolutions stylistiques — metal, punk, world, electro, rap, etc. — deviendront la norme. Les causes politiques et sociétales feront désormais des thèmes de chansons au succès planétaire.

Nous en avons choisi douze dans un demi-siècle de musique enregistrée. Une sélection évidemment incomplète et totalement subjective. Mais comme disait le slogan au printemps de 1968: «Ni maître, ni Dieu. Dieu, c’est moi!»

«Street Fighting Man», Rolling Stones


«Revolution», The Beatles


«Petite fille de Français moyen», Sheila

Rencontre avec le chanteur vaudois Michel Bühler

L'auteur de «Helvétiquement vôtre» ou «Rasez les Alpes» revient sur l'influence qu'a eu cette époque sur sa musique.

Tour du monde des hymnes engagés influencés par Mai 68

1971: «Imagine», John Lennon

Relativement apaisé, rescapé de la tornade émotionnelle qui accompagna la fin des Beatles un an plus tôt, John Lennon compose un matin cette ballade utopiste et nue. Avec Yoko Ono à ses côtés, il dépose sur le piano de leur chambre à coucher ses rêveries de communion universelle, loin des guerres et des convoitises matérielles. Le producteur Phil Spector, avec qui il enregistre la chanson en mai 1971, résumera l’affaire: «Ce devait être une déclaration politique de John, mais aussi un gros coup commercial.» Réussi: la chanson et l’album du même nom seront les plus grosses ventes de sa carrière solo. Et, depuis, l’hymne obligé des commémorations de toutes sortes.

1975: «Hexagone», Renaud

Le samedi 11 mai 1968, Renaud fête ses 16 ans au lendemain de la nuit des barricades, à laquelle il participa prudemment. Des événements de mai, il ramène chez lui sa première chanson, «Crève salope», que son père goûte moyennement. Sept ans plus tard, le chanteur dégoupille sur son premier album la grenade la plus explosive contre la France pompido-giscardienne, «Hexagone», chronique en douze couplets et quatre saisons du pays et de son «roi des cons». À la page de mai, le renard pas encore cuit remet les commémorations à leur juste place: «J’me souviens surtout d’ces moutons/Effrayés par la liberté/S’en allant voter par millions/Pour l’ordre et la sécurité.»


1977: «God Save the Queen», Sex Pistols

Sur un riff de Chuck Berry joué par un tank, le groupe le plus outrageux d’Angleterre célèbre à sa manière le jubilé de la reine Elizabeth II. Roué comme pas deux, le manager Malcolm McLaren loue un bateau et va faire jouer «God Save the Queen» sous les fenêtres de Buckingham. La police de Sa Majesté arrête la joyeuse troupe et assure la promo du single, qui sort le 27 mai 1977. Il sera interdit de radio, comme d’ailleurs toutes les chansons du premier et du dernier album des Sex Pistols, néanmoins numéro un des ventes. Pour avoir craché sur la royauté, le chanteur Johnny Rotten devient ennemi public. Il se fera peu après attaquer au rasoir par des royalistes.

1980: «Redemption Song», Bob Marley

Dernière chanson de son ultime album, alors qu’il lutte contre le cancer qui l’emportera six mois plus tard, Bob Marley livre un brûlot joué seul à la guitare acoustique, avec un motif de trois minuscules notes élevées pour accompagner le refrain. «Redemption Song» est une élégie nue offerte à la mémoire des millions d’esclaves volés à l’Afrique, et plus largement une ode à la liberté de l’âme, au-delà des corps enchaînés. Au crépuscule de sa vie, accompagné de Joe Strummer, Johnny Cash en fera une reprise tout aussi puissante. D’un grave de country ou d’une clarté reggae, la voix ne triche jamais quand elle chante «Tout ce que je n’ai jamais eu: cette chanson de liberté».

1985: «Meat Is Murder», The Smiths

Bien avant que le végétarisme ne devienne la thématique obligée des causeries sur Internet, Morrissey en fit un combat personnel qui allait plus loin que la seule évocation de sa préférence alimentaire. Le chanteur donna carrément pour titre «Meat Is Murder» (la viande est un meurtre) au second album des Smiths, son groupe alors en pleine ascension dans le monde bien sage de la pop anglaise. Un slogan choc qu’aucun communicant n’aurait conseillé — heureusement, cette race de ruminants ne pesait alors pas lourd. Sur un tempo de valse soutenu par des bruits de scie et des meuglements sourds, les six minutes de la chanson valent tous les débats sur Facebook.

1987: «Beds Are Burning», Midnight Oil

À la fin des années 1980, le thème de l’écologie revient à la mode au travers de grandes causes plus ou moins humanitaires. Alors que Sting fait le tour des plateaux télé avec un chef de tribu amazonien, des enfants du pays mettent plus directement les mains dans le gasoil. Les Australiens de Midnight Oil sont de ceux-là, qui font un tube de l’expropriation des tribus aborigènes victimes de l’exploitation minière et forestière. Chanté, ou plutôt craché par le futur ministre de l’Écologie Peter Garrett, «Beds Are Burning» dépasse le débat national pour devenir l’une des premières antiennes mondiales sur l’impact environnemental des activités humaines.

1989: «Fight The Power», Public Enemy

Héritier politique des Black Panthers, légataire musical des premiers DJ du Bronx, Public Enemy propulse le rap dans les hit-parades mondiaux, séduisant (et effrayant) bien au-delà du cercle des initiés. Porté par le timbre impérial de Chuck D, par la folie de Flavor Flav et par une rythmique de basses renversantes, promu par des vidéos de cortèges brandissant les portraits de Malcom X, le troisième disque du groupe met la «nation noire» au cœur de l’été américain. Jamais depuis James Brown le groove n’avait été aussi politique et «conscient». Les Lausannois se souviennent des gardes armés de (faux?) Uzi sur la scène de Grand-Vennes.

1991: «The White Room», The KLF

Dans l’hédonisme electropop à destination des masses «MTVesques», The KLF a mis en pratique un entrisme jamais égalé. Artiste multimédia derrière le collectif londonien, Bill Drummond rédige, en 1988, «The Manual, un guide pour faire un tube sans argent ni talent musical». Dont acte: «Last Train to Trancentral» et «What Time Is Love?» sont des hits house en 1991! Invité aux Brit Awards, le groupe offre une séance bruitiste étourdissante qui se termine par l’annonce: «The KLF a quitté l’industrie musicale.» En 1994, dans un entrepôt écossais, Drummond mit le feu à 1 million de livres sterling, ce qu’il aurait gagné avec KLF. La performance fut filmée en super-8.

1992: «Killing in the Name», Rage against the Machine

Hit des plus improbables par ses ruptures de tempo, sa longueur (5’14), sa structure tout en montée anxiogène et le grand nombre de vilains mots proférés par le rappeur Zack de la Rocha, «Killing In the Name» explose comme une grenade à répétition, à supposer que cela existe. Le quartet de Los Angeles incarne en 1992 la fusion naissante entre énergie rock, groove funk et phrasé hip-hop, avant que le genre ne devienne caricature. Idéal pour chauffer les manifestants ou, plus prosaïquement, pour finir une soirée entre amis, le martèlement du morceau était à l’origine un cri d’insoumission à l’encontre les forces de police californiennes, très chatouilleuses cet été-là.

2004: «Holiday», Green Day

Vendus au grand capital? Millionnaires punk? Crétins à piercings? Certes. Mais Green Day a une grande qualité: il sait écrire des chansons, de ces boulettes pop musclées mais assez juteuses pour passer à la radio. Et combien de musiciens osèrent attaquer ainsi de front George Bush Jr., peu avant sa réélection en 2004? Springsteen, jouant acoustique avant les meetings de John Kerry, ne prêchait que les convaincus. Green Day, au contraire, se servit de son ubiquité pop pour rompre avec l’apolitisme de l’industrie et porter aux «kids» de l’Amérique profonde cette parabole furieuse contre «le président des pompes à essence» et ses guerres. Raté, mais bien joué.

2012: «Mother of God, Drive Putin Away», Pussy Riot

Attaquer à la fois l’Église russe et un président peu connu pour son sens de l’humour et de la mansuétude: les Pussy Riots ont pulvérisé les records du «protest song» ce jour de février 2012 où elles massacrèrent leur bout de chanson punk, en la cathédrale du Christ-Sauveur de Moscou. Trois membres du collectif féministe (qui n’a jamais sorti de disque) ont payé d’une année d’emprisonnement cet acte de contestation contre l’autoritarisme de l’État et la violence patriarcale de la société russe envers les femmes et les minorités sexuelles. Plus courageux que de dénoncer Harvey Weinstein après lui avoir pomponné le tapis rouge pendant des années.

2015: «Alright», Kendrick Lamar

Premier musicien non jazz et non classique à obtenir le Prix Pulitzer pour sa façon de témoigner des conditions de vie des Afro-Américains, Kendrick Lamar a donné un chant au mouvement Black Lives Matter, quand plusieurs manifestations entonnèrent en slogan le «Nigga, we gonna be alright» du refrain. Avant que l’actualité ne lui donne une acuité particulière, le morceau avait été composé par Lamar comme un message d’espoir après un voyage en Afrique du Sud, «où les combats des Noirs sont dix fois plus durs que les nôtres». Le rappeur de Los Angeles a redonné au hip-hop une conscience sociale que le règne du bling-bling «gangsta» avait enfouie sous les dorures.

Et encore...

Pour lever le poing avec force et élégance, il n’est pas inutile de picorer parmi quelques chansons énervées qui fleurirent sur les terrains de scènes alternatives rock, punk, rap, voire soul. Une liste pour se fâcher définitivement avec le voisin du dessous. NWA,«Fuck Da Police» (comme son nom l’indique). Bérurier Noir, «Porcherie»(et «la jeunesse emmerde le Front national», ad lib.). Trust,«Antisocial»(le meilleur du heavy metal français). Dead Kennedys, «California Über Alles»(ou comment être mis sous surveillance par le FBI du jour au lendemain). Edwin Starr, «War»(le groove soul plus puissant qu’une bombe). CRASS, «So What?»(l’anarchisme anglais à l’état pur), Throbbing Gristle,«Discipline»(la destruction de la musique avant celle de la société). Gil Scott-Heron, «The Revolution Will Not Be Televised»(jamais).

En 1969, Alain Knapp met en scène «Les Bobacs» à la grande salle de Sainte-Croix. Photo: ALAIN OGHERI - A

En 1969, Alain Knapp met en scène «Les Bobacs» à la grande salle de Sainte-Croix. Photo: ALAIN OGHERI - A

L’agitation de Mai 68, terreau du théâtre contemporain

L’émergence de compagnies indépendantes change la donne dans le microcosme romand des arts de la scène. Explications d’Anne-Catherine Sutermeister, auteure d’un livre sur cette période phare.

Natacha Rossel

Sur les planches des théâtres, les corps se dénudent et se libèrent. Les comédiens surgissent dans les gradins et s’emparent de l’espace public. Les créations se font collectives, radicales, subversives. L’agitation soixante-huitarde s’invite sur les scènes romandes et sème un vent de renouveau dans la création. Vivifiant. Les artistes, par essence perméables aux bouleversements sociétaux, s’émancipent des institutions et inventent de nouvelles formes d’expression dont la trace perdure aujourd’hui encore. La chercheuse Anne-Catherine Sutermeister, ancienne directrice du Théâtre du Jorat, a consacré sa thèse à cette période charnière pour les arts de la scène. Elle nous raconte l’incroyable richesse créatrice de ces années d’effervescence.

«Il est fascinant d’observer que les choses bougeaient déjà avant Mai 68, qui a été un point culminant mais aussi un point déclencheur d’un champ de créativité.» À l’image des productions novatrices de troupes comme le Living Theatre ou The Bread and Puppett et sous l’influence des maîtres tels que Jerzy Grotowski ou Peter Brook, les compagnies indépendantes s’affranchissent de la tutelle du théâtre traditionnel dès 1967. Par l’hybridation des formes, la naissance des écritures de plateau, la mise à distance du sacro-saint texte et de la figure totémique de l’auteur. «Des épigones de ces grandes figures théâtrales naissent chez nous avec leurs méthodes et leurs techniques propres. Ces artistes contribuent à poser les bases des esthétiques que l’on voit maintenant encore et qui fertilisent toujours le théâtre européen. Quand on observe aujourd’hui la diversité des approches esthétiques et des pratiques théâtrales, notamment à travers la programmation de Vincent Baudriller à Vidy, on peut y déceler tout ce que Mai 68 a apporté aux arts de la scène!»


«Quand on observe la diversité de la création contemporaine, on peut y déceler tout ce que Mai 68 a apporté!»

Charles Apothéloz le visionnaire

Un constat: l’émulation créatrice comme les réflexions en matière de politique culturelle se manifestent de manière sensiblement différente dans les cantons de Vaud et de Genève. À Lausanne, une figure forte joue les médiatrices entre politiques et artistes: Charles Apothéloz, fondateur du Centre dramatique romand (CDR) en 1959. Cette institution solide, rayonnante, ne résistera toutefois pas longtemps aux mutations dans l’air du temps. Jugé trop centralisé, le CDR finit par éclater en 1968.

Les prémices de la crise affleurent en 1967, lorsque Lova Golovtchiner, fondateur du Cabaret Boulimie, dénonce le mode de subventionnement placé sous la tutelle de Charles Apothéloz. Ce dernier confie, dans une série d’entretiens menés avec Daniel Jeannet: «J’étais le seul producteur agréé officiellement par les pouvoirs publics et je chapeautais une entreprise où plusieurs forces opposées tentaient d’affirmer leur identité.» C’est dans ce contexte tendu qu’une poignée d’artistes, Alain Knapp en tête, s’éloignent du CDR et fondent leurs propres compagnies. «Apothéloz était une personnalité fédératrice et visionnaire, souligne Anne-Catherine Sutermeister. Lorsque des artistes se sont détachés du CDR, il a eu l’intelligence de les laisser libres.»



Deux compagnies marqueront les esprits. D’abord le Théâtre Onze, créé en 1967 par Jacques Gardel, Jacqueline Morlet et Michel Eggel. Fascinés par Grotowski, les comédiens défendent un théâtre fondé sur la force expressive du corps et du langage symbolique, qu’il soit textuel ou corporel. Fondé un an plus tard sous l’impulsion d’Alain Knapp, le Théâtre Création développe de nouvelles méthodes de jeu du comédien et élabore des créations collectives. Deux compagnies, deux tendances: «Une vision post-brechtienne reflétée par Knapp et une expérience plus expérimentale, proche de Grotowski, chez Jacques Gardel.» Quant aux comédiens estampillés «classiques», ils se réunissent pour la plupart au sein des Artistes Associés de Lausanne. La tempête passée, le CDR renaît sous le nom de Centre Dramatique de Vidy (entre 1969 et 1971) puis de Centre Dramatique de Lausanne (CDL) dès 1972. Plus tard, il prendra le nom de… Théâtre de Vidy, institution phare de Lausanne.

Église squattée

Au bout du lac, le biotope scénique est beaucoup plus rigide. «La Comédie de Genève incarnait une structure assez poussiéreuse, à l’époque. Les jeunes qui voulaient changer le monde sont entrés en conflit assez direct avec les collectivités.» Les Tréteaux Libres s’engagent dans un théâtre activiste, radical, subversif, dans la lignée directe du Living Theatre. Se détachant des carcans, ils mènent une réflexion profonde sur le corps, la liberté de mouvement, la place de l’art dans l’espace public. «Ils ont occupé des lieux comme Saint-Gervais, ont squatté une église. Ça a fait scandale!» Plus ludique, le Théâtre Mobile fera de la dérision l’instrument d’une opposition au contexte politique. La caricature des hommes et femmes de pouvoir va bon train. Lise Girardin (maire de Genève en 68) en prend pour son grade…

Ce renouveau esthétique, ces mutations sociales permettent de bouger les lignes des politiques culturelles romandes. «Au cours de ces années explosives et radicales, les collectivités publiques étaient un peu désemparées. Pour calmer le jeu, elles ont dû commencer à réfléchir à un soutien des compagnies indépendantes.» Les revendications paient. Progressivement, les artistes hors système décrochent des subventions. «Ce concept n’existait pas avant. On appuyait uniquement les institutions. C’est le début d’un véritable soutien aux compagnies, même si on est encore loin des aides mises en place aujourd’hui.»

Un théâtre en écho aux ouvriers

On ne saurait évoquer le renouveau scénique de la fin des années 60 sans aborder l’aventure chaux-de-fonnière. «C’est une expérience extraordinaire, ce théâtre qui part à la campagne et qui essaie de s’inscrire comme véritable acteur culturel dans cette ville.» Le Théâtre populaire romand (TPR) éclôt d’abord dans une ferme à Chézard (NE), avant de prendre racine à La Chaux-de-Fonds. «Charles Joris, cofondateur du premier TPR, puis véritable timonier de cette institution, est en quelque sorte un visionnaire. Il était tellement habité par le théâtre populaire qu’il a convaincu les autorités, qui se trouvaient dans une période économiquement difficile, d’implanter un théâtre en phase avec ce qui se passait dans la ville. Les comédiens ont monté des spectacles en écho à ce que vivaient les ouvriers.»

La folle épopée du Living Theatre à Genève



Guillaume Chenevière, ancien directeur du Théâtre de Carouge, nous raconte l’incroyable semaine de représentations de «Paradise Now» à Genève en août 1968. Des comédiens dénudés, un public déchaîné, la police sur les dents.

A 81 ans, il raconte cette folle semaine comme si elle venait de s’achever. Au coeur du mois d’août 1968, Guillaume Chenevière, alors directeur du Théâtre de Carouge, accueille le Living Theatre à Genève. La célèbre troupe expérimentale et libertaire tient l’affiche cinq soirs avec «Paradise Now» dans l’ancien Palais des Expositions, à Plainpalais.

L’atmosphère est électrique. Il y a de quoi: la troupe new yorkaise, fondée en 1947 à New York par Julian Beck et Judith Malina, vient de claquer la porte du festival d’Avignon sur fond de scandale. «Après la fin de leur spectacle, ils continuaient à jouer dans les rues. Il y a eu des débordements, ça a fichu une trouille terrible aux organisateurs!» On les exhorte à se cantonner à leur lieu de spectacle. Le Living refuse. On raconte que Jean Vilar, fondateur du festival, ne s’en serait jamais remis.



«Un gars de la troupe m’a appelé un matin, se souvient Guillaume Chenevière. Il m’a dit: «On va être dans une merde terrible, invite-nous en Suisse!» Le directeur de Carouge, qui avait déjà contribué à la venue du Living en Suisse l’année précédente, invite la troupe sulfureuse dans la Cité de Calvin. «Mais je leur ai dit qu’il était exclu qu’ils jouent dans la rue car j’avais peur que ça finisse très mal avec la police. Ils ont accepté.»

Cinq soirées de frénésie subversive. La salle est pleine à craquer. «Les comédiens du Living se mettaient tout nus, brûlaient des billets de banque, se mêlaient au public. Ce n’était pas vraiment un spectacle, c’était une manifestation.» Postée aux abords de la salle, les forces de l’ordre sont aux abois. “Après les événements de mai à Paris, l’idée d’une agitation faisait très peur. Il y a eu des déploiements de police invraisemblables!»

Guillaume Chenevière - que cette folle aventure a délesté de 7 kg en une semaine - se souvient surtout de ce public curieux, intrigué, ouvert au message du Living. «Après une représentation, un gars m’a dit qu’il avait compris qu’on peut marcher sur les mains. Qu’on peut vivre autrement.»

«Impact» au moment de sa création. Debout: Bertrand Caspar, Asa Lanova, Kurt von Ballmoos, Jean Scheurer, Henri Barbier, Philippe Dahlmann. Devant: Pierre Gubéran, Jacques Dominique Rouiller, Jean-Pierre Tzaud. Manque Jean-Claude Schauenberg. Photo: J. D. ROUILLER

«Impact» au moment de sa création. Debout: Bertrand Caspar, Asa Lanova, Kurt von Ballmoos, Jean Scheurer, Henri Barbier, Philippe Dahlmann. Devant: Pierre Gubéran, Jacques Dominique Rouiller, Jean-Pierre Tzaud. Manque Jean-Claude Schauenberg. Photo: J. D. ROUILLER

Impact, frappe passe et manque

A Lausanne, l'Art est sorti dans la rue en 1968 grâce à Impact. L'aventure d'un galerie pas comme les autres portée par un collectif avide d'une ouverture au monde.

Florence Millioud Henriques

Mai 68 ou pas, Lausanne avait son juin 68! Un pavé nommé «Impact» dans la si stagnante marre des beaux-arts vaudois (et Romands) laissant la Suisse allemande, seule, en phase avec son temps. L’art accroché – et vendu – dans les galeries y a encore trop souvent la même tête, les mêmes empreintes de la tradition et le même ronronnement bien établi. Autant dire que comme à d’autres tournants de l’histoire, l’avant-garde, cette fois affranchie de la nécessité de séduire, avait peu de chance de se faire voir. À moins de piéger le système! D’être à la fois artiste et galeriste. D’offrir à l’œuvre la liberté d’exister hors du marché. De l’amener dans la rue. «L’ambiance générale était favorable au développement de ce discours, nous, ce qu’on voulait, appuie Henri Barbier, l’un des fondateurs d’Impact, c’était une galerie non commerciale exposant gratuitement des artistes hors du sérail lausannois. On voulait que ça bouge, on faisait sortir l’art des galeries entourant un jardin potager d’une banderole pour le déclarer œuvre d’art, on voulait créer le débat argumentant que tout le monde est artiste ou personne ne l’est. On faisait le contraire de ce que l’on attendait de nous.»
Dans les manifs parisiennes, les étudiants aux beaux-arts grondent de cette même fronde, débaptisant leur fac pour en faire un «atelier populaire» capable de fournir à la cause 2000 lithos par jour. «On était attentifs à ce qui se passait du côté des barricades et à tout ce qui était remis en question. Mais, tranche Jacques Dominique Rouiller, le photographe du groupe, cela ne nous empêchait pas de garder une distance critique sur la manière.» Comprenez… ce n’est donc pas l’écho de Paris qui s’est matérialisé à Lausanne. «La nécessité de déplacer les curseurs était dans l’air, simplement, les événements parisiens sont venus nous conforter dans cette urgence à situer l’artiste dans un rôle sociétal, à sortir du train-train comme à ouvrir les vannes. En y repensant, témoigne Jean-Claude Schauenberg, c’est fou, on n’avait peut-être pas Internet mais presque plus de contacts avec l’extérieur que maintenant. On appelait ça le mail-art. Des petits journaux. Des infos. Des photos. Le tout circulant à travers le monde par courrier postal.»

Tollé du côté de Montreux
L’activisme semble policé, pourtant, hier, il a crispé, voire choqué. Déjà très «jazzy», Montreux se piquait encore d’une ouverture à l’art contemporain pour se débarrasser de sa réputation de mouroir pour nantis. Impact est alors sollicité, on est en 1972. À Lausanne, les galeries-pilotes avaient déjà fait leur œuvre, précédant dans l’histoire les foires d’art contemporain et Michel Thévoz avait déjà monté «Recherches et expérimentation» au Musée cantonal des beaux-arts autour «d’artistes qui sont sortis de leur ghetto et qui n’ont plus à faire front dans une unanimité artificielle». Cette fois il est question de Land art sur les quais montreusiens. «Les copains partis en vacances, j’ai dû assumer le commissariat, se souvient Henri Barbier. La Ville assurait logement et repas alors que les artistes créaient sur place. Mais quand elle a vu certains s’attaquer aux massifs floraux pour évoquer le Vietnam, d’autres poser des cibles dans le lac ou des écriteaux «Attention pollution», elle a refusé de payer. Il fallait réagir, temporiser. Alors, je leur ai demandé d’attendre de voir si la presse internationale s’intéressait à l’expo. Elle l’a fait, on parlait de Montreux dans le monde, notre contrat était rempli.»

La provoc en plus. Essaimant des fameuses «bagnoles» processionnaires dénonçant le ratage de la Riponne à l’art jouant l’intrus sur les panneaux publicitaires loués à la Société d’affichage. Mais si Pierre Keller, futur manitou de l’ECAL, ne reconnaît pas à l’époque ni à Impact d’avoir fait changer l’ordre des choses, spontanément Jean-Claude Schauenberg condense son esprit en une seule image. Une poigne graphique, aussi pop que puissamment éloquente pressant un tube de peinture rouge. Ou… l’Art Power, illustré par le Lausannois Werner Jeker. Il a fait son temps, dix ans. L’idéologie est restée, le groupe demeure, jamais dissout, pourtant chacun est rentré dans le circuit. «Progressivement, on ne pouvait plus tenir, explique Henri Barbier. Et nos efforts n’ont pas été relayés par une Kunst­halle ou par une Ville de Lausanne à l’intérêt pour les arts plastiques moins marqué que dans d’autres. Aujourd’hui, c’est cette idée de l’art pour tous et de gratuité qui manque!»

À recommencer

Le coup d’œil dans le rétro n’est ni nostalgique ni particulièrement fier, juste conscient d’avoir cultivé un esprit libertaire favorisant l’éveil à d’autres mondes. L’art vidéo en fait partie, défendu par Impact, à Lausanne, lors de l’un des premiers festivals du genre dans le monde. Après… quel héritage? Concret ou idéologique? Aux regrets, les membres d’Impact préfèrent les souvenirs. Ou les constats.

«C’était l’époque où, entre deux cours de math ou de gym, moi le prof de dessin, j’embarquais des élèves dans ma 2 CV pour vite aller voir une expo, sourit Jean-Claude Schauenberger. C’était aussi celle où on refusait certains travaux subsidiés parce que la compromission nous paraissait insurmontable. Aujourd’hui, la pratique est entrée dans les mœurs, les artistes admettent même du politique qu’il fasse l’état des lieux de la culture! Il y a eu un sursaut au moment de l’idée d’un nouveau musée à Bellerive. Un petit sursaut. Mais la réflexion sur le rôle de l’artiste et de sa relation à la société mériterait d’être relancée.» Une nouvelle révolution? Peu enclin au rôle de l’ancien combattant, le peintre Jean Scheurer en reste au constat, lui aussi. «Il y a des choses qu’on ne pourrait plus faire aujourd’hui, l’époque étant plus moraliste. On fait aussi plus de références au passé, nous on n’avait pas cette impression de déjà-vu ou de déjà fait, même si c’était le cas. Alors une révolution, oui… Sauf qu’elle devrait être tellement énorme, mieux vaux rester optimiste.»


Werner Jeker






«Toutes les formes d’art sont sorties de leur sanctuaire»



«L’air était instable depuis cinq ou six ans avant Mai 68, témoigne Michel Thévoz, alors conservateur du Musée des beaux-arts. Le foisonnement artistique préexistait également. Mais ce qui s’est passé, c’est que soudain, avec la libération de la parole, toutes ces formes d’art sont sorties de leur sanctuaire pour investir d’autres lieux. Le happening, la performance, le théâtre populaire dans la rue. Le jazz aussi. On avait une dizaine d’endroits à Lausanne, mais on a dû se battre, faire face à une répression sévère: la police suspectait cette musique libérale d’être liée à la drogue! Et pendant ce temps, les infos nous arrivaient de Paris, intéressantes. Ils avaient tout en main, ils avaient le pouvoir, mais la révolution n’a pas eu lieu et finalement Mai 68 est resté une fête fantastique mais une révolution ratée qui a déclenché une efficace remise en ordre. Certains copains sont partis, je suis resté. J’étais conservateur au Musée cantonal des beaux-arts avec René Berger comme directeur. Il avait une exigence, le port de la cravate, sinon il m’a laissé faire mes expositions. On a eu droit à quelques scandales et quolibets mais la presse était avec nous, l’avant-garde était là à Lausanne, les choses se passaient.»

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