Claude Ansermoz, rédacteur en chef



Que reste-t-il de Mai 68? Quelques slogans dans la tête des gens et souvent récupérés par la pub ou le merchandising. Des héros fatigués aux traits vieillis. Qui, pour certains, ont viré leur cuti pour une posture plus réac. Comme un ersatz de vieux groupe rock qui aurait sombré dans la daube commerciale.

Et puis, essayez de parler de Mai 68 à certains ados. Souvent, cette nouvelle génération sait tout juste qu’il s’est passé quelque chose du côté de la Sorbonne.

Vous me direz qu’ils ne se doutent pas non plus que les gymnasiens du Belvédère ont fait grève en 1971 ou que Lôzane a bougé une fois au début des années huitante avant que Jean-Pascal Delamuraz, notre général de Gaulle à nous, ne réprime avec ordre cet embryon de chienlit libertaire. Pas plus qu’ils ne se doutent que Pif le chien était un produit dérivé communiste avant d’arriver en version Gadget l’année d’après.

Ces batailles idéologiques pour une société alternative ont souvent été perdues. On pourrait aller jusqu’à considérer que le capitalisme sauvage a gagné sur tous les plans. Même nos rentes de retraités dépendent en partie de la bonne tenue de la Bourse. La courbe de Lorenz, qui mesure l’écart entre les plus hauts et les plus bas revenus dans un même pays, est à son paroxysme. Les cols-bleus ont souvent été délocalisés. Les féministes doivent encore se battre sur tant de tableaux. Et le rêve commun d’une collectivité portée par des valeurs plus solidaires s’est fragmenté dans des revendications communautaires souvent égoïstes et parfois franchement absurdes.

Alors pourquoi parler de Mai 68 qui ressemble furieusement à un dinosaure disparu? Et y consacrer 15 pages et un Webdocumentaire dans «24 heures»? Parce qu’en Occident il s’agissait peut-être de la dernière grande utopie spontanée de masse. Et qu’en tournant les pages jaunies de nos archives – «Nuit sanglante au Quartier latin» titrait la «Feuille» à l’époque – on finit par y retrouver les racines de bien des choses qui nous font vibrer aujourd’hui. Même si tout ça a été vécu de loin il y a un demi-siècle.

Nous sommes les enfants d’une vraie révolution culturelle. Dans le théâtre, le cinéma, les arts ou la musique, elle a désembourgeoisé un propos souvent trop sage ou convenu. De Mai 68, nous avons fait un compromis bien vaudois qui vise à accepter que nos certitudes soient intellectuellement bousculées sans que cela ne nuise à notre niveau de vie.




Rédacteur en chef: Claude Ansemoz
Responsable du cahier spécial: Gérald Cordonier
Responsable du webdocumentaire: Anetka Mühlemann
Textes: Boris Senff, Gilles Simond, Caroline Rieder, Fabien Grenon, Emmanuel Borloz, Bernard Chappuis, Patrick Chuard, François Barras, Florence Millioud Henriques, Natacha Rossel, Cécile Lecoultre, Gérald Cordonier, Anetka Mühlemann
Vidéos: Fabien Grenon
Graphisme: Serge Gros, Antoine Blanc
Iconographie: Sébastien Féval, Pénélope Henriod, Sophie Brasey
Dessins: Bénédicte, Valott